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Photo du rédacteurGervin

La bête de Cinglais

Durant le dur mois de février 1632, une quinzaine de personnes sont sauvagement tuées dans la forêt de Cinglais, entre Caen et Falaise. Très vite, le bruit se propage dans la campagne qu'une bête monstrueuse, voire même un loup-garou rôderait dans cette forêt. 132 ans avant la très célèbre bête du Gévaudan, la Normandie frémit.


De Caen en Normandie. Le 10 dudit mois de mars de l’an 1632. Il s’est découvert depuis un mois dans la forêt de Singlaiz entre ci et Falaise une bête sauvage qui a déjà dévoré quinze personnes. Ceux qui ont évité sa dent rapportent que la forme de cet animal farouche est pareille à celle d’un grand dogue d’une telle vitesse qu’il est impossible de l’atteindre à la course, et d’une agilité si extraordinaire qu’ils lui ont vu sauter notre rivière à quelques endroits. Aucuns l’appellent Therende. Les riverains et gardes de la forêt lui ont bien tiré de loin plusieurs coups d’arquebuse, mais sans l’avoir blessé. Car ils n’osent en approcher, même se découvrir jusqu’à ce qu’ils soient attroupés comme ils vont faire au son du tocsin ; à quoi les curés des paroisses circumvoisines ont invité tous les paroissiens à ce jourd’hui, auquel on fait étant qu’il s’assemble trois mille personnes pour lui faire la huée.

Gazette de France, 19 mars 1632



"Représentation d'un animal hideux qui a mangé beaucoup de monde dans un village nommé Singlais, situé à trois lieues de Caen", 1632 - BnF

Malgré l’ampleur des battues organisées dans la forêt, la bête n'est pas trouvée. La bête va alors hanter les esprits des gens du coin au point de prendre rapidement un aspect surnaturel comme en témoigne l'appellation locale "Therende" qui désigne un chien fantomatique étriqué. Les gens ont peur, évitent la forêt, ne sortent qu'en groupes et veillent fort sur les enfants. Alors que le total des victimes monte à une trentaine de morts à la fin du mois de mars 1632, le Lieutenant-Général décide de convoquer Louis II de Champagne, Comte de la Suze, afin d'organiser la chasse à la bête.


Cette bête furieuse dont je vous écrivais l’année passée ayant depuis deux mois dévoré plus de trente personnes dans cette forêt passait pour un sortilège dans la croyance d’un chacun. Mais le Comte de la Suze ayant par ordre de notre lieutenant général assemblé le 21 de ce mois 5 000 à 6 000 personnes, l’a si bien poursuivi qu’au bout de trois jours elle fut tuée d’un coup d’arquebuse. Il se trouve que c’est une sorte de loup plus long, plus roux, la queue plus pointue et la croupe plus large que l’ordinaire.

Gazette de France, 17 juin 1633



On encercle la foret de groupes armés, tous convergeant vers le centre. C'est au milieu qu'on découvre le cadavre de l'animal, touché d'un tir d'arquebuse. La bête du Cinglais tuée, les morts cessent et le calme revient dans le pays.



Mythe ou Réalité ?


C'est d'abord la description de la bête qui nous intrigue :

  • Une sorte de loup, plus roux

  • Queue pointue

  • croupe plus large

Bien que basique, cette description rappelle vaguement la bête du Gévaudan qui sévira 130 ans plus tard, et qui bénéficiera d'un traitement scientifique plus rigoureux (bien que des doutes subsistent quant à sa réelle existence). Un loup peut-être, un canidé certainement. Il pourrait s'agir d'un loup solitaire, peut-être plus gros qu'à l'accoutumée, agressif car affamé. Un loup, donc, qui aurait attaqué les glaneurs en foret car plus faciles à chasser seul que le gibier qu'il chasse ordinairement en meute. C'est en tout cas la thèse qui fut privilégiée.

Et si la bête n'avait jamais existé et n'avait été que l’œuvre de bandits de grands chemins ?

Si 1632 peut éveiller chez nous les images romantiques de Louis XIII, RICHELIEU et des rocambolesques Mousquetaires de DUMAS, la réalité de la vie en Normandie est un peu plus rugueuse mais pas moins aventureuse. Les attaques de la bête en forêt de Cinglais se déroulent dans une période d'augmentation des prix des céréales, et donc de disette, après 2 années de mauvaises récoltes. Ces moments difficiles pour les petites gens attise le mécontentement envers une monarchie dorée, de plus en plus centralisée sur Paris. Monarchie qui, selon les contemporains, préfère exporter le peu de récolte à l'étranger plutôt que de les laisser au peuple qui a faim. Ce malaise s'étend aussi aux différent secteurs forts de Normandie tels que l'industrie drapière.

Ainsi, depuis 1630, des manifestations et troubles locaux éclatent sporadiquement dans les cités Normandes et les villages de campagne jusqu'en 1639 où le paroxysme est atteint et débouche par la Révolte des Nus-Pieds. Tous ces moments difficiles entrainent les petites gens dans la pauvreté et avec elle augmente le banditisme sur les chemins creux des campagnes.

On pourrait alors imaginer qu'une bande de brigands aurait établi un camp au cœur de la foret de Cinglais, détroussant et tuant les glaneurs et chasseurs sans laisser de témoins. Les gens ne revenant pas et/ou étant retrouvés morts au milieu de la foret, la légende d'une bête se tisserait alors dans l'esprit des gens au point que tous se seraient persuadés de son existence.


Quelle qu'en soit l'origine, la bête du Cinglais est et restera certainement

un élément important du folklore Normand.


 

Sources

  • Recherches sur les Soulèvements Populaires en Basse-Normandie (1620-1640) et Spécialement sur la Révolte des Nu-pieds - Michel Caillard

  • Gazette de France (19 mars 1632 et 17 juin 1633)

  • Des Dieux Gaulois, Petits Essais de Mythologie - Patrice LAJOYE


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